À l’heure où la question de la souveraineté alimentaire occupe une place centrale dans les débats sociétaux, un colloque s’est tenu le jeudi 14 mars 2024 à l’Assemblée nationale, portant sur les enjeux majeurs de l’agriculture et de l’alimentation en France. Organisé par le think tank Les Z’Homnivores avec l’accompagnement de l’agence d’affaires publiques Artcher, et parrainé par le député Antoine Armand, cette rencontre a été l’occasion de sonner l’alarme quant aux défis à relever et de proposer des pistes de réflexion pour une réforme juridique nécessaire dans ce domaine vital.
Le diagnostic d’une perte de souveraineté alimentaire
Au lendemain du Salon de l’Agriculture, et alors que les discussions sur la Loi d’Orientation Agricole suscitent beaucoup d’attentes, ce colloque qui a rassemblé parlementaires, intellectuels, agriculteurs et chefs d’entreprise, a été l’occasion de dresser un constat alarmant : la France perd peu à peu sa souveraineté alimentaire. Les différents intervenants ont mis en lumière les blocages persistants et ont discuté des annonces ambitieuses visant à faire évoluer la réglementation. Les députées Nicole Le Peih (Territoires de progrès) et Anne-Laure Babault (Renaissance) ont ainsi décrypté ce que le Parlement a entrepris et les chantiers qu’elles comptent mener sur le sujet. Au cœur des débats, la nécessité d’une réforme juridique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation a été largement soulignée.
Agriculture : plaider pour une reconnaissance de l’Intérêt Général
L’avocat Timothée Dufour, et la spécialiste des questions agricoles, Carole Hernandez Zakine, ont pris la parole pendant cette journée pour mettre en lumière les défis juridiques auxquels est confrontée l’agriculture française. Ils ont notamment dénoncé une “guérilla judiciaire” orchestrée par des associations radicales, qui entravent le quotidien des acteurs du monde agricole. Me Dufour a insisté sur le caractère défavorable du droit actuel pour les agriculteurs, confrontés à des recours abusifs et à des intimidations. Il a appelé à des garanties accrues pour assurer la protection des professionnels du secteur.
“Il faut briser le tabou de la légitimité de ces associations qui prétendent agir au nom de l’environnement et se constituent inquisiteurs contre des agriculteurs”
Timothée Dufour
Pour Carole Hernandez Zakine, “lorsque l’administration n’est pas soumise à la peur de la pression de groupes ultra-minoritaires, elle est parfois elle-même militante”. Le colloque a ainsi mis en lumière des cas évidents d’infiltration au sein de l’administration française.
Un point central des discussions a été la question de l’inscription de l’agriculture comme d’intérêt général dans la loi. Cette proposition, portée par le gouvernement et reprise lors du colloque, a suscité des débats intenses quant à sa formulation et ses implications pratiques. Il s’agit d’un enjeu crucial pour rééquilibrer les droits et garantir la souveraineté alimentaire du pays.
“Nous devons donner aux juges les moyens de protéger l’agriculture au même titre que l’environnement, sinon nous perdons notre capacité à produire en France”.
Carole Hernandez Zakine
Carole Hernandez Zakine, membre de l’Académie d’Agriculture, a plaidé pour une reconnaissance égale de l’agriculture et de l’environnement dans le droit français, afin de préserver la capacité de production nationale. Pour autant, faut-il une réforme législative visant à reconnaître formellement l’agriculture comme relevant de l’intérêt général, afin de lui garantir une protection adéquate ? Rien n’est moins sûr. Selon elle, la formule n’est pas forcément idéale : « On risque ainsi de faire de l’agriculture un service public. Il faut faire attention aux mots ! » Il serait peut-être plus judicieux d’inscrire dans la loi que l’agriculture est « d’intérêt majeur ». Pour Carole Hernandez-Zakine : « cela permettrait de rééquilibrer les droits sans faire du droit de l’environnement une primauté sur tous les autres droits ».
Défis de compétitivité et perspectives économiques
Au-delà des enjeux juridiques, le colloque a également abordé les défis de compétitivité auxquels est confrontée la filière agroalimentaire française. Le député Antoine Armand et l’éditorialiste économique Pascal Perri, auteur de la note « Sécurité alimentaire des français Allons-nous faire sur l’alimentation la même erreur que sur l’énergie ? » ont mis en garde contre le déclin de notre potentiel agricole, et ont appelé à renforcer notre position sur la scène internationale.
« Ne commettons pas les mêmes erreurs dans le secteur agricole que dans le secteur nucléaire.”
Pascal Perri
Des représentants du secteur économique, dont Alexandre Montay, délégué général du METI, Jean-Paul Torris, vice-président de de l’ANIA et Laurent Plantier, Directeur général de FrenchFood Capital, ont apporté leur vision de terrain sur les enjeux et difficultés auxquels sont confrontées les entreprises alimentaires françaises. Ils ont souligné la nécessité d’une politique économique favorable à la compétitivité et à l’innovation pour garantir la pérennité de notre modèle agricole et ont regretté l’augmentation de la fiscalité de production.
« Réveillons-nous avant que ce soit trop tard »,
Yves Fantou, vice-président du Think-tank les Z’homnivores
En somme, ce colloque marque le début d’une réflexion approfondie sur l’avenir de l’agriculture et de la filière alimentaire française. Il souligne l’urgence d’une action concertée pour garantir la souveraineté alimentaire dans un contexte économique, social et juridique en évolution constante. Reste à acter comment les débats et propositions formulés lors de cet événement permettront de mettre en place des mesures concrètes pour assurer notre souveraineté alimentaire.