Les événements exceptionnels que nous traversons semblent provoquer un repli des consciences sur des « idées fixes ». Çà et là fleurissent des tribunes qui ont tendance à détourner la crise actuelle pour mieux servir des convictions ou des croyances. C’est ainsi que certains accusent l’élevage et la consommation de viande d’être responsable de la pandémie de Covid-19. Pourquoi est-ce faux ?
Prévenir les futures pandémies.
« Méfions-nous des faux savants qui véhiculent des contre-vérités pour vendre leur idéologie ». Cette citation du vétérinaire et directeur général honoraire de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) Bernard Vallat appelle à faire preuve d’esprit critique. L’élevage n’est pas responsable de la pandémie actuelle.
Comme le souligne le directeur général délégué à la recherche de l’Anses, Gilles Salvat, « Ce sont les mécanismes de l’émergence du virus initial et de sa première transmission à l’homme contre lesquels il faut lutter en préservant les écosystèmes des animaux sauvages dans ces régions fragiles et en contrôlant mieux l’interdiction de commercialisation d’espèces sauvages protégées ».
Une véritable prévention de nouvelles épidémies, capables d’engendrer des pandémies, passe avant tout par un contrôle enfin efficace des trafics d’animaux sauvages et par un renforcement drastique de la sécurité sanitaire sur les lieux d’achat.
Chauve-souris et pangolin : quels rôles pour ces animaux sauvages dans la crise ?
La chauve-souris : difficile, dans cette crise, de passer à côté du rôle de cet animal sauvage qui représente pas moins de 20 % de la diversité des mammifères de la planète. Très tôt, elle a été suspectée par les scientifiques d’être à l’origine de la pandémie.
Le seul mammifère volant sur Terre est en effet un réservoir de virus émergeants.
La vétérinaire Jeanne Brugère-Picoux le souligne particulièrement bien dans un article passionnant et très détaillé sur la question.
On y apprend que la chauve-souris a déjà été, à plusieurs reprises, pourvoyeuse de maladies zoonotiques (maladies qui se transmettent des animaux aux humains).
Parmi les corononavirus qui ont déjà traversé la barrière des espèces, citons les deux plus connus : le SRAS et le MERS, deux maladies respiratoires qui ont frappé les humains respectivement en 2003 et 2012, avec pour origine géographique la Chine pour le premier, et le Moyen-Orient pour le second. À l’époque, une surveillance des chauve-souris dans leur milieu naturel avait permis aux scientifiques chinois de démontrer « l’importante quantité de coronavirus pouvant être hébergés » par ces animaux ailés. Même constat chez les scientifiques américains qui alertaient sur la nécessité de se préparer à une future pandémie à coronavirus dont la Chine pourrait être le foyer…
Et le pangolin dans tout ça ? Les scientifiques s’interrogent sur la manière dont le Covid-19 a pu franchir la barrière de l’espèce : de la chauve-souris vers l’Homme.
Parmi les hypothèses, celle de la transmission par l’intermédiaire d’un animal « hôte », le suspect n°1 dans cette affaire étant le pangolin.
Cet animal sauvage est apprécié dans certains pays pour sa viande et ses écailles. Soit dit en passant, la Convention internationale sur le commerce d’espèces sauvages menacées d’extinction (CITES) a voté en 2017 l’interdiction totale du commerce international des pangolins …
Comme l’explique Gilles Salvat, directeur général délégué à la recherche de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) dans un entretien paru dans Ouest-France : « La commercialisation d’espèces sauvages protégées comme le pangolin n’est pas rare sur les marchés en Chine et induit un contact étroit avec l’homme, d’espèces sauvages qui n’ont naturellement aucune raison d’interagir avec l’homme » […] « Non seulement cette commercialisation d’espèces sauvages est strictement interdite, mais elle présente des risques majeurs de sécurité sanitaire ».
Les marchés d’animaux sauvages : des bombes sanitaires pointés du doigt.
C’est donc vers les grands marchés asiatiques que les regards des scientifiques se tournent, et notamment, parmi d’autres, celui de Wuhan, berceau de la pandémie. Ce sont des marchés où s’entassent dans des rangées de cages sur plusieurs étages des animaux vivants de nombreuses espèces : reptiles, civettes, chauves-souris, chiens viverins, pangolins… Didier Sicard, spécialiste des maladies infectieuses et professeur émérite à Sorbonne Université, s’alarme dans un entretien accordé à France Culture de la présence d’animaux sauvages dans ce lieu :
« sur ce marché, ils sont touchés par les vendeurs, dépecés, alors qu’ils sont maculés d’urine et que les tiques et les moustiques font une sorte de nuage autour de ces pauvres animaux, par milliers […] On peut faire l’hypothèse qu’un vendeur s’est blessé ou a touché des urines contaminantes avant de porter la main à son visage. Et c’est parti ! ».
Les chances de transmission étant augmentées par la surfréquentation du marché, l’abattage sur place, et les vapeurs d’eau chaude : un cocktail dramatique !
Même son de cloche du côté de Bernard Vallat, vétérinaire et directeur général honoraire de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) qui précise, dans une interview pour le journal l’Opinion, que l’« on sait que la transmission initiale du Covid-19 à l’homme ne s’est probablement pas faite par voie alimentaire, le virus étant détruit par les acides de l’estomac, mais par manipulation d’animaux sauvages infectés ».
Pour faire naitre une nouvelle épidémie, il faut donc une promiscuité forcée entre des animaux sauvages et l’Homme, qui ne devraient en aucun cas se rencontrer. Le braconnage est une des raisons de cette proximité dangereuse, tout comme peut l’être le changement des écosystèmes naturels pour des raisons allant du changement climatique à l’urbanisation en passant par la déforestation par exemple.
Notons toutefois au passage que les pandémies ont existé bien avant l’ère industrielle et les débuts de la déforestation.
La peste noire au XIVème siècle a ainsi décimé entre 30 et 50 % de la population européenne, soit 200 millions de personnes. La variole tuait 400 000 personnes chaque année dans les années 1800. La peste de Justinien, en 541, a contribué à accélérer la chute de l’Empire romain en faisant entre 30 et 50 millions de victimes.
Agir pour préserver les écosystèmes.
Prendre soin des écosystèmes passe par la nécessité de freiner le processus d’urbanisation qui ne cesse de grignoter les territoires (l’équivalent de 2 départements de surface agricole a disparu en 30 ans en France). Cela passe aussi par le développement de solutions pour mettre fin à la déforestation. En ce sens, il convient de souligner la réelle dynamique de progrès mis en œuvre en France pour limiter l’importation de soja et recréer une filière de protéine végétale nationale. Ainsi :
- En 15 ans, la consommation de soja dans l’alimentation des animaux a été divisée par deux, remplacée par du colza et du tournesol.
- Il a été décidé que d’ici 2025, 100 % de l’approvisionnement en soja sera issu de zones non déforestées.
- Une filière de soja français se développe sur le territoire pour réduire notre dépendance aux importation (410 000 tonnes produites en 2017)
- D’autres pistes sont envisagées comme développer la culture du pois, de la fève, du lupin ou encore des légumes secs : des plantes riches en protéines qui permettrait de diversifier l’alimentation des animaux.
Toutes ces décisions vont dans le bon sens. Elles permettent de gérer la ressource alimentaire de façon plus responsable. Ces mesures doivent être encouragées, valorisées et soutenues par les pouvoirs publics.
La biosécurité des élevages : la meilleure des garanties.
Il n’y pas de lien direct entre l’élevage et le Covid-19. Son origine se trouve dans le trafic d’animaux sauvages qui doit impérativement être interdit et le contrôle de cette interdiction doit fonctionner.
Pour limiter le risque épidémique, il est également primordial d’accentuer les mesures de biosécurité dans les élevages pour qu’animaux sauvages et domestiques ne se côtoient pas.
Ce sont les élevages modernes parfaitement protégés et clos qui offrent les meilleures garanties de séparation entre espèces animales. Ceci n’empêche pas l’accès à l’extérieur dans la mesure où des mesures sanitaires adaptées sont prises pour qu’aucun contact avec la faune sauvage ne soit possible.
Il est impératif d’être intransigeant avec la biosécurité dans les élevages.
Saviez-vous qu’une instance mondiale existe depuis 1924 pour « combattre les maladies animales au niveau mondial » ? Il s’agit de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). Le contrôle sanitaire des animaux d’élevage (qui n’existe pas, bien évidemment, dans le trafic d’animaux sauvage) orchestré par les vétérinaires, est précieux. Le développement des élevages doit s’accompagner de la gestion des équilibres entre cultures, prairies et troupeaux, zones forestières et espèces sauvages. D’où la nécessité d’avoir des éleveurs pour entretenir les paysages et des chasseurs pour limiter la prolifération d’animaux sauvages (comme par exemple les sangliers en France).
Comment un virus se répand-il à travers le monde ?
Une fois une épidémie née, il faut une densité humaine, des déplacements et des échanges nombreux entre le lieu d’origine et le reste du monde pour qu’elle devienne une pandémie. Les modèles statistiques (comme celui-ci : https://journals.tplondon.com/ml/article/view/935/741) montrent que la propagation du COVID-19 dans le monde aurait pu être prédite, estimée et cartographiée à l’avance, avec une grande précision, en prenant en compte certaines variables, telles que la taille et l’âge moyen de la population, les volumes de voyageurs aériens, et les flux depuis la Chine.
Malheureusement, de nombreux pays occidentaux ont réagi trop tard avec des mesures initiales légères, qui ont été renforcées après qu’elles se soient révélées insuffisantes et donc inefficaces avec un virus déjà très largement répandu. Plus le nombre d’individus infectés est élevé au moment de la mise en œuvre de la mise sous cloche, plus il faut de temps pour que l’épidémie diminue et plus nous serons confrontés longtemps à des restrictions de mouvements.
Il est intéressant de faire le parallèle avec le monde de l’élevage pour constater l’importance de cette période pour contenir une épidémie.
Dès que les premiers cas d’une maladie animale contagieuse apparaissent, tous les mouvements d’animaux des espèces concernées et leurs produits sont immédiatement interdits.
Cette période est cruciale pour retrouver les contacts, identifier les animaux ou troupeaux affectés et ainsi endiguer la propagation. L’objectif est de contenir l’épidémie à un stade très précoce et de minimiser les pertes économiques.
Tout ceci n’est possible que dans un système d’élevages modernes et maîtrisés : l’identification des élevages, leur recensement et leur géolocalisation, la protection des animaux d’élevage vis-à-vis des virus transmis par les oiseaux migrateurs par exemple, le suivi d’un plan sanitaire rigoureux avec vaccins préventifs et visites régulières du vétérinaire, le contrôle et la traçabilité des aliments que mangent les animaux, la surveillance de la qualité des viandes dans les abattoirs, etc… Encore une fois, traçabilité et biosécurité sont les meilleures garanties pour une alimentation saine et sûre.
Par ailleurs, et pour limiter la propagation du virus, il est important de préciser que l’Académie vétérinaire de France recommande aux malades du Covid-19, d’éviter tout contact avec leurs animaux de compagnie pour ne pas risquer de les contaminer. Pour les préserver, plus de bisous ni de léchouilles pendant un certain temps ! (bien entendu, il ne faut pas les abandonner !).