L’orthorexie, vous connaissez ? Ce terme assez loufoque désigne un trouble du comportement alimentaire : l’obsession de manger sainement poussée à l’extrême. « Du « manger droit » au « marcher droit », il n’y a qu’un pas ! »1.Dans son livre Mangez en paix !, le Docteur Gérard Apfeldorfer, psychiatre et psychothérapeute spécialiste des troubles du comportement alimentaire, précise que les orthorexiques sont obnubilés par la qualité des aliments qu’ils consomment.
“Le goût, le plaisir à manger apparaissent secondaires »2, seule la quête du « bon absolu » compte. Persuadées d’être dans le vrai, ces personnes voient leur méfiance se transformer lentement en poison, les isolant socialement et les privant du bonheur simple de manger. Elles font ainsi l’impasse sur deux notions pourtant fondamentales dans l’acte alimentaire : le plaisir et le partage.
La faute au puritanisme alimentaire
Le livre du Dr Apfeldorfer éclaire sur les origines de ce trouble alimentaire. « Dans les pays anglo-saxons, et tout particulièrement aux Etats-Unis, on conçoit le fait de manger comme n’étant rien d’autre que le moyen d’apporter à l’organisme les nutriments dont il a besoin. Dans cette vision diététisante et puritaine de l’alimentation, le plaisir est considéré comme superflu. »3 Cette vision restrictive de l’alimentation a inondé notre société moderne occidentale et de nombreuses consciences.
C’est oublier que nous ne mangeons pas uniquement pour « faire tourner la machine ». L’acte alimentaire revêt bien d’autres visages qui font sa richesse. Nos émotions et nos sensations y jouent un rôle majeur. « La nourriture nourrit aussi bien l’esprit que le corps »4. En soit, une alimentation n’est équilibrée que si les dimensions physiologiques et psychologiques sont satisfaites.
La dimension physiologique est évidente : c’est le fait d’apporter l’énergie nécessaire à notre corps ainsi que les nutriments dont il a besoin pour bien fonctionner. Nous mangeons lorsque notre corps nous alerte qu’il a besoin de carburant. Le signal de détresse ressemble alors souvent à un gargouillement… La dimension psychologique est plus subtile à appréhender mais tout aussi importante.
« Ce qui compte du point de vue de la santé mentale, c’est que nous ayons suffisamment d’occasions de nous faire plaisir en mangeant, que nous en retirions une profonde satisfaction ».5
Prendre simplement plaisir à manger
Le plaisir de manger n’est pas à prendre à la légère. « Le comportement alimentaire est en effet sous le contrôle non seulement d’un circuit faim-satiété, mais aussi sous le contrôle d’un circuit plaisir-déplaisir. Le plaisir pris à manger a une valeur rassasiante !6 » Notre cerveau traite ainsi nos faims physiologiques et psychologique de façon équivalente.
La question est donc de savoir comment prendre plaisir à manger. Pour le Dr Apfeldorfer, « manger avec plaisir, c’est manger moins et manger mieux ». Il s’agit d’être « économe de ses plaisirs »7 pour mieux les apprécier. Parmi ses nombreux conseils, voici ceux qui semblent les plus judicieux :
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- Manger des aliments porteurs de valeurs culturelles, de significations personnelles : « consommer les produits de son pays, de sa région, de sa famille permet de se retremper dans sa culture d’origine. On se nourrit en vivifiant ses racines. Si le Breton ou l’Alsacien aiment à manger des plats bretons ou alsaciens, c’est parce qu’en les incorporant, ils se ressourcent et sortent de table davantage breton ou alsaciens. »8 Autre exemple : manger des plats de cultures différentes permettent de partir dans des aventures culturelles exaltantes.
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- Connaître ce qu’on mange, apprendre comment nous nourrit tel ou tel aliment.
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- Acheter moins d’aliments mais de meilleure qualité pour mieux les apprécier et les respecter.
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- Cuisiner le plus souvent possible des plats simples.
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- Utilisez nos sens (vue, toucher, ouïe, odorat, goût)
En somme, ce sont le respect, l’attention et l’amour apportés à notre nourriture qui nous permettent de prendre plaisir à manger. Inclure nos émotions dans l’acte alimentaire est la clé du plaisir. Mieux : donner de la valeur à l’acte alimentaire, le sacraliser, c’est se respecter soi-même. Rien de mieux pour optimiser sa santé mentale et éviter les coups de blues !
Un plaisir qui passe nécessairement par le partage
Dans l’acte alimentaire, le partage, la convivialité sont consubstantiels à la notion de plaisir. S’il nous arrive de manger seul, « dès que c’est possible, on mange en personne civilisée, c’est-à-dire en partageant.»9
« Nous sommes fondamentalement des animaux sociaux, fait pour manger en groupe ou en famille »10 aime à rappeler le Dr Apfeldorfer.
Certes, aujourd’hui, il n’est pas rare de manger « à côté des autres » et non pas « ensemble ». Une fois encore, c’est un puritanisme à l’anglo-saxonne qui a fait son œuvre et qui appauvrit « singulièrement l’acte alimentaire ».11 Difficile dans ces cas de donner du sens à ce que nous mangeons et de prendre véritablement plaisir à manger. Il est bon de rappeler que « le but de ce partage est de permettre d’échanger de la chaleur humaine, de se nourrir les uns des autres »12.
Enfin, le fait de manger avec ses amis, sa famille ou ses collègues de travail « nous rappelle que nous mangeons et nous recentre sur nos sensations alimentaires »13. C’est un cercle vertueux : le partage nous recentre sur la notion de plaisir, ce qui nourrit à la fois l’esprit et le corps. Ce n’est pas un concept utopique mais bien une valeur fondamentale qui permet à la fois à notre psyché et à notre corps d’être en bonne santé.
Pour se convaincre du pouvoir nourrissant du partage, voici un exemple à méditer : « parfois, des nourritures médiocres, consommées avec des amis chers, ou bien qui éveillent en nous de merveilleux souvenirs, valent tous les festins du monde ! »14.
1 Dr Gérard Apfeldorfer, Mangez en paix !, Odile Jacob, Paris, 2009, p 123. ↩
2 Ibid, ↩
3 Ibid, p. 27 ↩
4 Ibid, ↩
5 Ibid, p. 121 ↩
6 Ibid, p. 54 ↩
7 Ibid, p. 145 ↩
8 Ibid, p. 22 ↩
9 Ibid, p. 26 ↩
10 Ibid, ↩
11 Ibid, ↩
12 Ibid, p. 152 ↩
13 Ibid, p. 151 ↩
14 Ibid, p. 145 ↩