À travers ce livre audacieux, la journaliste Ariane Nicolas s’attaque à l’antispécisme. Une idéologie « verrouillée », comme elle le souligne, « qui n’offre aucun espace à la discussion »1. Son essai vient bousculer cette pensée d’origine anglo-saxonne qui s’est imposée dans le débat intellectuel français et qui cherche à renverser nos certitudes culturelles quant à nos rapports aux animaux.
En plongeant dans les textes des fondateurs de l’antispécisme, Ariane Nicolas offre au lecteur l’occasion de saisir les points de friction qui cristallisent le débat. Elle s’intéresse ainsi à la notion de souffrance, « nerf de la guerre de la relation antispéciste »2. S’appuyant sur la « bible des antispécistes », la libération animale de Peter Singer, elle pointe du doigt l’étonnante absence de justification sur le point de départ de l’antispéciste « à savoir que la souffrance serait par essence néfaste »3 . Effectivement, selon le philosophe australien, « la douleur et la souffrance sont deux choses mauvaises par elles-mêmes »4.
« jamais dans le livre de Peter Singer, on nous dit pourquoi « seul ce qui souffre a un intérêt » 5
Ariane Nicolas déplore que « Peter Singer (fasse) de son propre jugement une vérité universelle »6. Elle s’interroge sur la viabilité d’un « monde expurgé de toute souffrance, où nous nous sentirions tous invincibles. Il n’y aurait plus de place pour la vulnérabilité. La compassion serait jugée intolérable. Or, la compassion reste un mode de socialisation essentiel entre individus »7.
Vouloir supprimer les souffrances de l’autre, c’est vouloir supprimer l’autre »8
Barbara Stiegler
Cette pensée poussée à l’extrême, conduit à vouloir « supprimer toutes les espèces dont les spécimens ressentiraient davantage de douleur qu’ils n’éprouvent de plaisir »9. C’est ce que préconise l’une des branches les plus radicales de l’antispécisme : « l’extinctionnisme ».
L’autrice s’attarde par ailleurs sur les définitions de « spécisme » et « antispécisme ». Alors que le dictionnaire Robert qualifie le spécisme d’idéologie, et l’antispécisme de « visions du monde », Ariane Nicolas affiche son désaccord : « le mot-même de « spécisme » est une invention fantaisiste qui assimile la quasi-totalité de l’humanité à une meute assoiffée de sang »10. Les antispécistes sont selon elle, « en lutte contre une supposée idéologie qu’ils ont en réalité créée de toutes pièces »11. Elle met également en garde face à un totalitarisme alimentaire :
« déclarer le régime omnivore immoral voire illégal, serait comme interdire aux gens de parler leur
langue »12
Elle appelle à penser notre manière de consommer des aliments non pas comme « une nécessité physiologique absolue » mais, comme « autre chose », « qui pourrait relever d’une histoire culturelle définissant non pas l’humanité entière, mais les civilisations humaines dans leur immense diversité »13. Autrement dit, la nourriture reflète la diversité culturelle de ce monde. L’antispécisme la mettrait de facto en péril.
Enfin, l’essayiste s’élève farouchement contre l’utilisation par les antispécistes des expressions « meurtre alimentaire » ou « viol ». « Sur des thèmes aussi graves, il n’y a pas de métaphore possible » « Faire des consommateurs de viande de boeuf des complices d’homocides ou de viol est abject »14. Quant à la comparaison entre l’abattage des animaux et la Shoah, elle déplore, non sans ironie, le manque de décence et la violence verbale des partisans de cette comparaison. « La planète grouillerait-elle de nazis qui s’ignorent ? »15.
« L’antispécisme est au véganisme ce que l’intégrisme est à la croyance : une version politisée, militante et rigoriste d’une manière d’habiter le monde »16
Ce premier essai apporte sa pierre à l’édifice d’un débat actuel et sujet à controverse. Arianne Nicolas ne porte pas dans son cœur l’idéologie antispéciste et s’attache à détailler les raisons de son inquiétude dans un ouvrage passionnant.
L’imposture antispéciste, Ariane Nicolas, Editions Desclée De Brouwer, 2020, 268 p., 17,90 €.
1 L’imposture antispéciste, Ariane Nicolas, Editions Desclée de Brouwer, 2020, p 126 ↩
2 Ibid, p 31 ↩
3 Ibid, p 40 ↩
4 Ibid, p 94 ↩
5 Ibid, p 41 ↩
6 Ibid, p 56 ↩
7 Ibid, p 95 ↩
8 Ibid, p 113 ↩
9 Ibid, p 68 ↩
10 Ibid, p 48 ↩
11 Ibid, p 48 ↩
12 Ibid, p 127 ↩
13 Ibid, p 126 ↩
14 Ibid, p 139 ↩
15 Ibid, p 166 ↩
16 Ibid, p 210 ↩