Regards d’experts – Éducation à l’alimentation à l’école : un enjeu prioritaire de santé publique ?
Notre série « Regards d’experts » revient avec un nouvel épisode. Pour ce 5e numéro, le think tank Les Z’Homnivores donne la parole à Florence Dupraz pour évoquer l’éducation à l’alimentation à l’école. Spécialiste de ce sujet, la Directrice de l’Open AgriFood d’Orléans porte depuis de nombreuses années ce combat de permettre aux enfants d’accéder à une vraie éducation à l’alimentation. Pour elle, ce sujet est un enjeu de santé publique et doit être « une priorité nationale ».
Pour découvrir l’épisode « Regards d’experts » avec Florence Dupraz, c’est ici
Quels problèmes sur l’alimentation des enfants et des adolescents constatez vous aujourd’hui ?
« L’éducation à l’école, c’est devenue une priorité nationale. (..) En fait, en dehors de l’école il n’y a plus véritablement de lieu pour apprendre aux enfants à bien manger.
Le premier constat qui est quasiment désespérant, c’est de voir que plus aucun enfant n’est connecté à la ruralité, n’est connecté à la campagne. Du temps de nos grands-parents, il y avait à peu près huit enfants sur dix qui avaient un pied dans une ferme, chez un voisin, et qui allaient à la campagne assez régulièrement.
Ce chiffre est tombé à deux sur dix et encore, on est optimiste. (..) Les petits enfants du 91, du 93, etc., ne voient jamais un épi de maïs ou un brin de blé. Il est important que ceux-ci reconnectent avec le vivant. Qu’ils réapprennent finalement ce qu’est l’agriculture et le fait de faire pousser des aliments. »
Comment en sommes-nous arrivés là ?
« En fait, nos enfants sont dans une civilisation de l’instantanéité, avec leur téléphone, avec les écrans, etc. Tout arrive tout de suite. Ils ne se rendent pas compte du temps qu’il faut pour faire pousser une tomate cerise. Mais aussi du soin que doit apporter l’agriculteur en matière d’eau, de soleil, de chaleur, de désherbage, etc.
Du coup, si on n’a pas ça en tête, et bien on est complètement déconnecté par rapport à tout ce qu’on a dans l’assiette au moment où on va manger. La cellule familiale s’est complètement déstructurée. C’est un grand bien, des mamans qui travaillent maintenant le mercredi et qui n’apprennent plus à faire la cuisine à leurs enfants. Du coup, plus personne ne sait cuisiner et ne sait se faire à manger.
On l’a vu pendant le COVID, on a eu des enfants, des jeunes qui faisaient la queue devant le Crous à 1€ parce qu’en fait ils n’étaient pas capables de mettre un navet, une pomme de terre et une carotte dans une casserole pour se faire une soupe et se faire à manger sainement à bas coût.
“Il faut apprendre à nos enfants à se faire à manger tout simplement avec les recettes de base de notre alimentation”.
L’éducation à l’alimentation des enfants est-elle un enjeu de santé publique ?
« Complétement. C’est vrai qu’on nous oppose qu’il y a énormément d’enjeux de santé publique en matière d’éducation des enfants. On a, tous les problèmes sexuels, le développement durable, mais savoir se faire à manger et savoir bien manger, c’est obéir à un besoin primaire.
Effectivement, il est très important que l’éducation nationale qui est le seul lieu où cette éducation peut être partout et pour tous parce qu’elle existe dans beaucoup d’endroits. Il y a déjà des communes, déjà des départements qui se sont rendu compte que c’était très important de faire de l’éducation à l’alimentation.
Le problème, c’est que ce n’est pas partout et pour tous, sur tout le territoire national.»
“Pour ça, il faut que l’éducation à l’alimentation devienne une priorité nationale inscrite dans les programmes scolaires et soutenus par nos politiques.”
Y a-t-il des exemples de bonnes pratiques d’éducation à l’alimentation à l’école ?
« Je vais vous en livrer un en France. C’est le programme que nous avons développé depuis deux ans qui s’appelle « Apprendre à bien manger pour être heureux ». En fait, sur une seule classe, on propose une vingtaine d’ateliers aux enfants. Il y a des ateliers pour apprendre à cuisiner avec un chef (extérieur ou de la restauration collective).
Des ateliers plantations où les enfants vont aller mettre des petites graines dans la terre. Ils se rendent compte que ça ne pousse pas instantanément. Des ateliers d’échanges avec un agriculteur, avec une diététicienne ou un diététicien qui va insister sur la prise du petit déjeuner, sur la composition des repas, sur les portions. Des visites de fermes, de restaurants, des visites de lycée agricole, de lycée hôtelier. Pour comprendre finalement comment fonctionne toute cette belle filière alimentaire en France. »
Votre définition de la liberté alimentaire ?
« La liberté alimentaire, pour moi, c’est savoir se faire à manger sainement et pas cher. C’est avoir compris suffisamment tous les aliments. Comment les composer ensemble pour être capacité à n’importe quel moment de me faire une alimentation variée, saine et pas chère. La liberté alimentaire, c’est aussi et ça je ne le cache pas, se payer un petit Mcdo une fois par mois ou une charlotte au chocolat une fois de temps en temps. C’est être en maitrise totale de comprendre ce qu’on va manger et se faire plaisir. Savoir se faire à manger et avoir fait le lien entre alimentation et santé. »