Nous sommes de plus en plus en nombreux sur Terre : près de 11 milliards en 2100 selon un récent rapport des Nations Unies1. Dans le même temps, nous perdons chaque année des surfaces agricoles à cause de l’artificialisation des terres. En France, ce sont 2 millions d’hectares de surfaces agricoles qui ont disparu en 30 ans2 (l’équivalent de 2 départements). Comment nourrir la population dans ces conditions ? Certains affirment que le véganisme est la solution pour optimiser notre capacité à produire de la nourriture. Est ce vraiment le cas ?
L’élevage, gaspilleur de protéines ?
Pour les vegans et les antispécistes, l’élevage ne permet pas de nourrir efficacement la population. Dans son livre « Comment j’ai arrêté de manger les animaux », l’auteur-journaliste Hugo Clément écrit : « Les produits carnés sont-ils un moyen efficace de nourrir la planète ? La réponse est non. Si la viande nous nourrit, c’est qu’elle apporte des protéines à notre organisme. Or pour produire 1 kilo de protéines animales, il faut fournir aux animaux – en fonction de l’espèce – entre 7 et 12 kilos de protéines végétales (blé, avoine, maïs, soja, pois, etc.) Nous donnons aux cochons, poulets ou bovins des protéines que nous pourrions manger nous-même »3.
L’argument semble implacable. Dans les faits, ce n’est pas si simple. Jean-Louis Peyrauld, Directeur scientifique adjoint agriculture à l’INRAE rappelle que le régime alimentaire des animaux d’élevage n’entre pas systématiquement en compétition avec ce que nous mettons dans notre assiette. “Si on ne mangeait plus d’animaux, toutes les ressources végétales nous dit-on, pourraient être consommées par l’homme. Cette affirmation est fausse puisqu’on ne consommera pas les coproduits”.
“Il y a une part des protéines animales qui est absolument indispensables dans nos régimes alimentaires si on veut une valorisation maximale de la biomasse produite”.
Les coproduits sont des déchets de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire que nous ne pouvons pas manger mais dont les animaux se régalent. Ils composent 80 % de leur ration alimentaire. Jean-Louis Peyraud rappelle ainsi que « nous voulons bien boire de la bière mais nous ne mangeons pas les drêches de brasserie, nous voulons bien du sucre mais nous ne mangeons pas les pulpes de betterave. Dans un grain de blé, on ne mange que 66% des protéines produites. »
Selon la FAO4 les animaux consomment chaque année 74 millions de tonnes de protéines végétales que les humains auraient pu consommer à leur place. En contrepartie, ces animaux fournissent 54 tonnes de protéines animales que les humains consomment. Nous sommes donc dans un rapport de 1,4 pour 1 et non 12 pour 1 comme souvent avancé.
Alors certes, il y a de la compétition entre la nourriture que mange les animaux et la nôtre, mais mais pas autant qu’on peut le laisser croire. Des systèmes agricoles très vertueux existent (les ruminants élevés en pâturage, les cochons nourrit aux coproduits…). Il faut évidemment les privilégier. Pour maximiser la production d’aliments et limiter les pertes, l’élevage est donc nécessaire.
L’élevage, gaspilleur de terres agricoles ?
L’élevage est également accusé d’accaparer des terres qui pourraient servir à cultiver des végétaux pour la consommation humaine.
C’est oublier que les 2/3 des surfaces agricoles de la planète sont des zones de prairies au sens large : steppes, montagnes, toundra, savane… qui ne peuvent pas être cultivées. La seule façon de produire de l’alimentation à partir de ces espaces, c’est d’y placer des animaux herbivores.
Selon Jean-Louis Peyraud, « se priver de l’élevage, c’est se priver d’une quantité énorme de protéines pour nourrir la planète » puisque que ces espaces représentent « 25 % de la production mondiale de produits animaux. Il faut garder en tête que l’élevage peut être un contributeur net à la production de protéines et de nutriments pour les sociétés ».
Supprimer les protéines animales : une mauvaise idée.
Pour nourrir le maximum de personnes, il faut donc optimiser notre capacité à produire de la nourriture sur un territoire limité. Or, Jean-Louis Peyraud. rappelle que :
« pour qu’un hectare cultivé dans le monde nourrisse un maximum de personnes, il faut qu’il y ait des animaux. Pas avec des rations alimentaires à 60 % de protéines animales mais avec des rations autour de 20 % »
Au Pays-Bas, il a ainsi été démontré que, jusqu’à 25% de protéines animales dans le régime alimentaire, la demande en terres reste inférieure à celle d’un régime végétalien5. Autrement dit, si les Pays-Bas étaient 100 % végan, il faudrait plus de surfaces cultivées pour nourrir la population que si cette population consommait 25 % de protéines animales et 75 % de protéines végétales.
Le journaliste Frédéric Denhez, spécialiste de la question environnementale confirme dans son dernier ouvrage6 qu’une alimentation flexitarienne, « c’est à dire avec moins de viande (disons, de 15% à 20 % du régime alimentaire), semble un bon compromis social nutritionnel et environnemental. » En deçà, le « besoin en surface agricole cultivée repart à la hausse ». Il faudrait alors cultiver davantage de terres pour nourrir la planète.
Force est de constater qu’un monde 100 % vegan n’apparait pas comme la solution idéale pour nourrir le monde de demain contrairement à un monde 100 % flexitarien qui semble bien plus adapté pour relever ce défi alimentaire crucial.
1 https://www.un.org/fr/sections/issues-depth/population/index.html ↩
2 https://www.lepoint.fr/environnement/france-2-millions-d-hectares-de-surfaces-agricoles-ont-disparu-en-30-ans-18-06-2014-1837328_1927.php ↩
3 Comment j’ai arrêté de manger les animaux, Hugo Clément, Seuil, p. 147 ↩
4 Steinfeld et al. 1997 ↩
5 Van Kernebeek et al., 2014 ↩
6 La Cause végane, un nouvel intégrisme ? Frédéric Denhez, Buchet-Chastel, 2019, p 119 ↩